La suprématie des Etats sur leur territoire et leur domination sur les affaires du monde semble être déstabilisée. En effet, les 100 plus grandes multinationales sont aujourd’hui responsables pour un tiers du commerce mondial. De plus, le phénomène de globalisation s’est accompagné d’une exacerbation de la compétitivité du produit juridique, tant au niveau global que régional, entraînant l’ouverture d’une réflexion d’ensemble sur l’amélioration de la compatibilité entre systèmes juridiques nationaux.
Face à la montée en puissance de ces nouvelles forces de la mondialisation, la gouvernance politique semble être appelée à s’organiser institutionnellement au niveau supranational. En parallèle, la crise économique actuelle a encore intensifié le besoin de promouvoir une régulation internationale afin de répondre à des problèmes désormais globaux. H. Védrine recommande, d’ailleurs, dans son rapport sur la France et la mondialisation l’exercice « d’un contrôle démocratique » combinant « la gouvernance coopérative circonstancielle et ciblée entre Etats souverains, et la gouvernance partagée au sein d'institutions internationales clairement mandatées et relégitimées».
Le droit apparaît ainsi comme le seul outil capable, non seulement de définir un seuil de compatibilité entre les réglementations nationales, mais également de déterminer une structure efficace permettant la prise en compte de valeurs, telles que les droits de l’homme, qui, dépassent la simple dimension économique. Lié au phénomène de paix libérale, la complexification du système normatif international s’est progressivement traduite par l’institutionnalisation d’organes internationaux possédant des pouvoirs réglementaires et judiciaires, qui, spécialisés, sont, en effet, capables de gérer certains conflits très techniques, excédant le cadre domestique. La régulation de la globalisation des échanges par le droit international doit, d’ailleurs, être considérée comme une chance, de créer un ordre juridique mondial superposé aux ordres juridiques nationaux. Force est de constater que malgré sa fragmentation, le « droit global » en formation, compensant les limites territoriales inhérentes aux politiques publiques, inclut une dynamique d’harmonisation, permettant non seulement la mise en réseau des Etats, mais également la prise en compte des acteurs privés (entreprises multinationales ou ONG). La mondialisation des échanges a, ainsi, profondément transformé le paysage légal actuel et les Etats sont aujourd’hui contraints d’accepter des limites grandissantes à leur pouvoir normatif sans qu’aucune structure ne compense cet affaiblissement du concept de souveraineté nationale.
Cependant, les Etats demeurent les principaux acteurs et sujets du droit international, comme le rappelle le maintien de la règle du consensus au sein de l’OMC. Malgré la montée en puissance de ces nouvelles organisations multilatérales, dotées de pouvoir normatif et juridictionnelle, l’application des normes du droit international demeure locale et dépend essentiellement de leur adaptation au travers de la loi nationale et des politiques publiques. Le concept de reconnaissance mutuelle, largement utilisé en droit international, a, ainsi, servi de fondement institutionnel à l’interconnexion des systèmes juridiques locaux. En effet, si l’unification des régulations nationales semble impossible au niveau global, il est impératif d’assurer une équivalence des normes. Le principe de reconnaissance mutuelle, est défini par le Professeur K. Nicolaidis, comme permettant de gérer la globalisation en déterminant des seuils de compatibilité entre les différents systèmes nationaux ainsi que les différences réciproquement acceptables. Les accords de reconnaissance mutuelle légitiment, en effet, la coordination voire l’harmonisation de régulations nationales et la définition d’équivalences entre normes étatiques. La mise en place d’une telle structure de réciprocité entre systèmes indépendants et souverains impose aux Etats au devoir de confiance mutuelle.
Le principe de confiance mutuelle est, ainsi, la véritable clef de voûte de la construction et du bon fonctionnement d’un espace juridique supra-étatique. En effet, chaque Etat possède aujourd’hui une obligation de confiance envers les systèmes juridiques nationaux de ses partenaires, notamment du fait de l’application locale de normes et obligations définies au niveau international et l’imposition d’un principe d’équivalence entre des normes nationales spécifiques. L’UE et les EU ont, par exemple, organisé l’interpénétration des leurs systèmes judiciaires étatiques autour du « concept central la reconnaissance mutuelle [qui] suppose l’exercice d’une souveraineté partagée et la reconnaissance du territoire de l’Union comme territoire commun » grâce à un fort sentiment de confiance mutuelle [1] . Au niveau communautaire, le principe de confiance mutuelle a permis de définir un «étalon d’acceptabilité, ou de justification (…), et de trouver un dénominateur commun »[2].
Cependant, le principe de confiance mutuelle nécessite de lourdes contreparties de la part des Etats-membres afin de garantir la pérennité de leur coordination ou mise en réseau au niveau global. En effet, un tel sentiment de confiance ne se décrète pas, en particulier dans un monde en voie de multipolarisation. Des systèmes de contrôle et certains garde-fous doivent mis en place afin de garantir l’application équivalente par les Etats de leurs obligations découlant du droit international. Ainsi, au niveau international, chaque nouveau niveau de densité normative semble réclamer aujourd’hui la mise en place d’un contrôle juridictionnel, en charge de son interprétation et de son application.
Le cycle Uruguay a institutionnalisé un double degré d'arbitrage technique, bénéficiant d’une compétence d’attribution obligatoire sur tous les litiges, entre les Etat- Membres, relatifs aux accords négociés dans le cadre de l’OMC, afin d’assurer « la sécurité et la stabilité juridiques du système commercial multilatéral » [3]. Les décisions de ORD (organes de règlement des différends) de l’OMC sont désormais adoptées automatiquement, sauf s’il y a consensus pour les rejeter [4], alors même que leur inexécution peut entraîner des graves conséquences économiques (l’Etat-victime pouvant obtenir des compensations commerciales, voire être autorisé à suspendre certaines concessions commerciales équivalentes, en édictant des contre-mesures [5] ). L’UE fut, par exemple, autorisée à appliquer des contre-mesures contre les Etats-Unis pour un montant record de 4 milliards de dollars. Les ORD ont, d’ailleurs, multiplié des décisions, d’une portée économique sans précédent et touchant des secteurs aussi sensibles et variés que la protection de la santé publique ou de l’environnement. De plus, avec un coefficient de mise en conformité des membres après verdicts évalué à environ 80 % [6] , les ORD assure bien un rôle de contrôle du respect des obligations issus des traités OMC, permettant au pays-membres de pérenniser un sentiment fort de confiance mutuelle. H. Védrine préconise, d’ailleurs, un recours beaucoup plus fréquent à l'ORD de l’OMC, qui doit être considéré comme une arme efficace de défense contre certaines pratiques anticoncurrentielles déloyales, tout en considérant qu’il serait utile de lancer «d’une politique offensive de propagation de standards (réciprocité, propriété intellectuelle, normes sanitaires exigeantes (codes alimentaires) de normes environnementales» [7].
Fondé sur le renouveau de la fonction régulatrice du droit international, la mise en place d’une régulation cohérente de la globalisation semble devoir reposer sur le principe de confiance mutuelle, véritable clef de voûte de l’interconnexion ou mise en réseau entre systèmes normatifs souverains, permettant la mise en place de seuil de compatibilité et d’équivalence. Si la crise économique actuelle a intensifié le besoin de promouvoir la mise en place d’une régulation globale, par le biais d’une internationalisation du pouvoir normatif, la maintien d’un climat de confiance exige également l’institutionnalisation de mécanismes de contrôles transnationaux. Ainsi, comme le souligne le Professeur Soppelsa, la confiance mutuelle au sein de espaces juridiques, «concept sinon nouveau, fort rarement abordé», à l’instar des notions de droit d’ingérence ou de développement durable, pourrait devenir bientôt une entité incontournable.
Par Vanessa ABBALLE-BOLLORE- . - Juriste - Maître de Conférences à New York University
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_______________________ [1] António Vitorino, « L’Europe judiciaire que nous bâtissons ensemble », Assemblée constitutive de l’association des présidents de Cours suprêmes judiciaires, Paris, le 10 mars 2004, SPEECH/04/124, P. 5 [2] Marc Fallon, « L'utilisation de la méthode comparative en droit international prive et en droit européen », Intervention lors du colloque « Recherche doctorale et méthode comparative » de l'école doctorale en sciences juridiques organise, jeudi 20 avril 2006, disponible à www.ecoledoctorale-droit.be/documents/fallon0604.pdf, p. 1 [3] James Bacchus, Table Talk: Around the Table of the Appellate Body of the World Trade Organization, Vanderbi Journal of Transnational Law, Vol 35, Octobre 2002, n.4 4, p.6 [4] Incluant la partie perdante. Ceci est appelé le principe de consensus négatif [5] Article 22 Memorandum [6] W.-J. Davey, The WTO Dispute Settlement System : the First Ten years : JIEL 2005, p. 17 à 50, spéc. p. 47- au 20 juin 2008 [7] Rapport sur la France et la mondialisation, par M. Hubert Védrine