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Le Maroc contemporain : Analyse géopolitique.
Alexandre Daverede
INTRODUCTION
L’approche géopolitique d’un Etat-nation, voire d ‘une zone supra étatique, obéit à deux règles d’or : la Géopolitique tente en effet de mettre en valeur les spécificités d’un Etat souverain en analysant les principaux facteurs qui relient l’Etat en question et l’espace géographique. Par essence, elle ne peut donc prétendre à l’objectivité ni à l’exhaustivité, eu égard à la multiplicité des facteurs. Ce rapport ne s’appesantira pas sur la description de données concrètes classiques, de la superficie du territoire à la structure orographique, aux données climatiques ou démographiques, par exemple.
En revanche, on s’efforcera d’analyser deux grands types de facteurs :
-les tendances lourdes, d’une part, celles qui se pérennisent à travers l’Histoire marocaine, parfois depuis des siècles ;
-les « variables contemporaines » susceptibles de modifier la spécificité du Royaume chérifien, héritée de ces tendances lourdes, et parfois de supplanter ces dernières.
Tendances lourdes : il s’agira d’analyser les caractères spécifiques du pays en fonction de l’Espace et du Temps Ces tendances appliquées au Maroc, peuvent se résumer en trois constats généraux :
Le Maroc est une île » (certains préfèrent évoquer une presqu’île !) riveraine de deux nappes maritimes, la Méditerranée et l’Océan Atlantique, et..d’une « mer de sable » orientale dont elle est séparée par une impressionnante barrière montagneuse, les Atlas.
Le Maroc est un carrefour d’une valeur exceptionnelle, un carrefour que certains auteurs évoquent en décrivant la quadruple influence des facteurs venus de l’Est, du Nord, de l’Ouest et du Sud, les « quatre tentations » de l’Histoire marocaine. Mais que nous préférerons décrypter à travers cinq éléments majeurs, aux effets souvent contradictoires :
–l’influence de l’Afrique
–l’influence de l’Orient arabe
–l’influence de la Méditerranée
–l’influence de l’Europe
et, enfin, l’influence atlantique.
3) Le Maroc a longtemps baigné dans l’atmosphère des pays du TiersMonde et de leurs cortèges de difficultés politiques, économiques, démographiques ou sociétales ;
B) Quant aux « variables », elles révèlent désormais un Maroc composite, tentant de surmonter quelques handicaps indéniables (ni or noir, ni importantes ressources naturelles par exemple, si l’on excepte les phosphates), d’affronter quelques sérieux défis (apparition et montée du terrorisme islamiste international, intensification des flux migratoires venus du Sud, pérennisation du trafic de drogue, gestion délicate de la question du Sahara Occidental et de ses corollaires, telles les relations difficiles avec ses voisins algérien et mauritanien..)
Mais disposant aussi de toute une gamme d’’éléments positifs : essor du tourisme ; modernisation des structures administratives ; libéralisation de la société ; politique étrangère souvent originale, comme en témoigne par exemple le rôle pilote joué par Rabat, via la communauté juive du Maroc vis à vis d’Israël) ; mutation des grands secteurs d’activité économique ; transition démographique.. des éléments qui peuvent conduire à considérer que le Royaume, un demi siècle après son indépendance, une décennie après l’avènement d e Mohammed VI, a bel et bien réussi à entrer sans équivoque dans l’ère des sociétés modernes, via, notamment, le « Take Off ».
Le Maroc peut être considéré aujourd’hui comme l’un des exemples les plus édifiants de ces (rares) nations du Tiers Monde méritant effectivement le qualificatif de « pays en voie de développement ».
A) Le Maroc est une île.
Un simple coup d’oeil sur la carte montre que le Royaume chérifien, implanté à l’extrémité Nord Ouest de la dorsale maghrébine (Maghreb-al-Aksa , « le pays du Soleil couchant »), s’étire , à l’Ouest, le long du littoral atlantique (un océan qui porte d’ailleurs le nom des Atlantes, peuples plus ou moins mythique vivant au coeur de l’Atlas !) et, de manière plus modeste, au nord, longe celui de la Méditerranée (Mare Nostrum). Mais son horizon est aussi largement barré, du Nord Est au Sud Ouest, accrochée au Rif, par l’ossature montagneuse des Atlas, Moyen Atlas, Haut Atlas (qui culmine à quelques 4165 mètres et Anti Atlas.
Cette doble océanité aurait pu se traduire par une vocation maritime précoce. Il n’en fut rien ! Les Berbères ne sont pas des marins, et l’essentiel de l’activité portuaire et maritime, durant des siècles, fut l’apanage des Portugais, fondateurs entre autres de Mogador, l’actuelle Issaouira, et des Espagnols. Ces derniers, notons le, occupent les Canaries sans quelles n’aient jamais été revendiquées par les Marocains, ce qui n’est pas le cas des enclaves terrestres de Ceuta et de Metilla.
Cette position « insulaire » a, tout au long du dernier millénaire, sécrété des conséquences positives mais aussi …négatives.
Positives ; car, nonobstant l’occupation romaine de la « Maurétanie », divisée en deux provinces sous la houlette de sa capitale,Volubilis, ou la sucession des trois royaumes arabes (dynastie almoravide, dynastie almohade, dynastie saadienne, toutes ayant eu Marrakech pour capitale),
le Maroc, le fameux « Jardin des Hespérides », du fait de sa position géographique excentrée, jouxtant les terrifiantes « colonnes d’Hercule » des civilisations gréco romaines, du côté de Gibraltar, a été beaucoup moins touché par les influences extérieures que ses voisines maghrébines d’Algérie et de Tunisie. Cette insularité rend compte notamment d‘un fait bien souvent oublié, concernant une nation souveraine depuis à peine un demi siècle…mais qui est de facto un des plus vieux Etats du monde, et sans contestation possible, le plus ancien du monde arabe
Le royaume fut fondé par Idriss Ier au milieu du VIIIIeme siècle, quelques décennies avant le couronnement de l’Empereur Charlemagne, du côté d’Aix la Chapelle !
La chaîne des Atlas fut naguère un rempart appréciable (et apprécié) face à l’avancée des Turcs. Rappelons à ce propos que le Maroc fut, en la circonstance, la seule nation du monde arabe à échapper à l’occupation ottomane. Et que la partie montagneuse de son territoire n’a été totalement occupée par une nation étrangère que de…1934 à 1956 !
Mais cet isolement , gage de protection à l’égard d’agressions potentielles venues, notamment, de l’Est, peut avoir aussi des corollaires négatifs, à savoir de longues périodes de « somnolence », succédant au gré des aléas de l’Histoire, à des périodes particulièrement brillantes. A bien des égards, la position d’insularité, « ‘revers de la médaille », rend compte au moins partiellement du fait que le Maroc, à plusieurs reprises, et singulièrement vis-à-vis de la saga ottomane en Méditerranée, soit souvent resté à quai !
Rappelons aussi, en évoquant ce contexte orographique, que les données climatiques, à l’échelle du millénaire, révèlent une constante qui confine, pour le Maroc, à un défi permanent : la question de l’eau. Durant des siècles, le monde rural Marocain a vécu, comme ses voisins, les yeux anxieusement rivés sur le ciel, dans l’attente des pluies.
Comme le soulignait un fin observateur des réalités marocaines au quotidien, « à la fin du printemps, l’humeur reste plus que jamais au beau fixe jusqu’au fond du bled ; car au début de l’année, le bonheur est revenu des cieux, de cette pluie incessante qui remplit les barrages, reverdit la campagne et génère une récolte record de céréales (M.Duteil)
Le Maréchal Lyautey, à l’ère de la colonisation, se plaisait (parait il) à dire :
« En France, gouverner, c’est prévoir. Au Maroc, gouverner, c’est pleuvoir » !
Réels ou légendaires, ces propos sont toujours d’actualité, d’autant que près de la moitié de la population marocaine vit encore au sein du monde rural. Le défi de l’eau explique notamment l’importance de la promotion des cultures irriguées, directement liée à la construction de monumentaux barrages, édifiés par exemple au coeur du Rif.
B) Le Maroc est un carrefour.
« Le Maroc est un pays d’Afrique du Nord situé aux portes de l’Europe. Il est attaché à l’Orient par sa culture arabo islamique tout en étant une nation de l’Occident tournée vers l’Atlantique »
Tout est dit, ou presque, dans ce diagnostic.
La plupart des exégètes évoquent, en ce domaine, la « quadruple tentation des points cardinaux ».Elle est effectivement indéniable.
-Au Sud, l’immensité des solitudes sahariennes s’est transformée progressivement en territoire d’expansion potentielle, puis réelle, pour un royaume chérifien toujours tenté, selon les circonstances, par le mythe du « Grand Maroc ». Un mythe que la colonisation mit cruellement en charpie mais qui a resurgi récemment avec la « Marche Verte » du Sahara Occidental,) au grand dam de la Mautitanie et de l’Algérie. Car le Maroc, comme tous les pays du Maghreb, est aussi un pays d’Afrique ! La tentation, pour Rabat de s’affirmer comme l’un des Grands du continent est patente, tant par la superficie de l’Etat que par les relations ancestrales
entretenues avec les nations du Sahel, toutes islamisées. Rabat entretient par exemple de bonnes relations avec Dakar… mais cela s’explique aussi, sans doute, par les tensions contemporaines persistantes entre le Sénégal et la Mauritanie.
-A l’Est, nous l’avons déjà souligné, la barrière des Atlas a longtemps freiné la pénétration des influences islamiques. Mais le Maroc, depuis des siècles, comme l’ensemble du Maghreb, est « terre d’Islam » , un islam d’abord ancré au sein des populations paysannes, bien qu’une cité comme Rabat, au même titre que Constantine ou Kairouan, la Tunisienne, fasse figure de haut lieu de l’Islam en Afrique du Nord ; un islam modéré et relativement monolithique, qui a quasiment ignoré jusqu’à ces toutes dernières générations les clivages et les schismes qui caractérisent, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît, les Etats du Machrek et du Moyen Orient.
A l’égard du tropisme oriental, soulignons aussi que le Roi du Maroc, (même si cela peut paraître symbolique) est le Président du Comité Jérusalem et que les Juifs marocains, qui jouèrent un rôle de premier plan à travers les siècles, dans l’Histoire du Royauyme, ont largement contribué, via l’immigration vers Israël, ces dernières décennies, à l’instauration de fort bonnes relations entre Rabat et l’Etat hébreu.
-A l’Ouest, la « grande tentation », ce sont les rives de l’Atlantique ! Hassan II, naguère, fit construire la mosquée de Casablanca es qualité de « phare avançé de l’Islam vers l’Occident ». Bastion de ce dernier, contrôlant séculairement, avec les puissances ibériques, l’un des passages maritimes majeurs du commerce international, le Maroc était, par sa Géographie, destiné à coup presque sûr à devenir un fidèle allié des puissances occidentales. Ceci explique, au demeurant, en grande partie, la mansuétude avec laquelle les nations du Bloc Atlantique ont observé la « Marche Verte », même si la question du Sahara Occidental peut être aussi assimilée à un bel exemple concret des effets pervers du système bipolaire, l’Algérie, très tentée par une ouverture stratégique vers l’Océan Atlantique, étant à l’époque vassale de Moscou.
-Quant au Nord, via Gibraltar, rappelons aussi que le détroit (au delà des difficultés « physiques » sécrétées parfois par sa traversée) n’a jamais véritablement constitué une frontière. L’Europe s’est toujours volontiers «épanouie » sur le Maghreb, au même titre que, quelques siècles auparavant, les civilisations arabes colonisèrent la péninsule ibérique, durant plus d‘un demi millénaire.
Et l’occupation, par Paris et Madrid, des horizons marocains a été particulièrement forte au cours de la première moitié du XXeme siècle, des centaines de milliers d’Espagnols et de Français s’installant dans le Royaume.
Quatre « tentations » donc, selon la version « officielle », auxquelles nous ajouterons volontiers pour notre part ;
-une cinquième dimension : la Méditerranée elle même ! Certes, le littoral marocain y est modeste, sans comparaison avec les côtes d e sa voisine orientale. Mais le tropisme « Mare Nostrum » n’est pas seulement un souvenir nostalgique de l’Empire romain et deVolubilis. Outre le fait que le Maroc est aujourd’hui associé à l’Union Européenne, la participation de Rabat au processus de Barcelone, enclenché à partir de 1992 (Conférence entre les Etats riverains de la Mer Méditerranée) a été particulièrement active, entrainant l’ouverture d’une sorte de zone de libre échange entre les pays du Maghreb et l’Union.
C)Le Maroc a longtemps baigné dans l’atmosphère des pays « sous développés ».
Que l’on soit partisans de la théorie du sous développement perçu comme un retard ou comme un état spécifique lié à des causes multiples, le Maroc ,jusqu’à ces deux ou trois dernières décennies, présente en la matière la quais totalité des caractères « classiques » applicables à l’ensemble du monde sous développé : un monde marqué par la sous nutrition ou la mal nutrition (au cœur du monde rural) ; des maladies endémiques ; un comportement démographique illustré par un taux de natalité très élevé, proche du taux de fécondité naturelle ; une espérance de vie médiocre ; un taux de mortalité infantile élevé..Au plan des activités économiques, ce milieu était très fortement marqué par la prépondérance des activités agraires, reposant sur des structures ancestrales comme le ‘bour’ (et ses zones de pâturages à usage collectif) juxtaposées à un secteur de plantations en milieu irrigué, travaillant très largement pour l‘exportation.
Les industries extractives étaient faiblement représentées (à l’exception des phosphates), les biens d’équipement (le moteur du « take off) rares, les industries de biens de consommation (de l’agro alimentaire au textile) souvent archaïques. Ajoutons à cela la gamme des critères sociétaux spécifiques au Tiers Monde, taux d’analphabétisme élevé ; juxtaposition d’une aristocratie de nantis et d‘un impressionnant cortège de défavorisés ; accélération des flux migratoires vers des villes en pleine croissance, mais incapables d’assurer des emplois aux nouveaux venus ; création et expansion spatiale frénétique de bidonvilles sordides ; et une administration largement dominée par une classe politique très conservatrice, voire corrompue..
Bref, une situation qui, bien que nettement moins dramatique que celle de la plupart des nations sises en Afrique subsaharienne, gràce notamment aux efforts d’Hassan II et au processus plus ou moins conscient
« d’occidentalisation », ancrait le Royaume dès les premières années de l’Indépendance ,dans le ventre mou de la hiérarchie officielle des nations.
Cette atmosphère a sensiblement changé au cours des derniers lustres, et singulièrement au cours de la dernière décennie. Nous touchons ici du doigt, parallèlement au maintien ou à l’apparition de quelques défis internes ou externes difficilement négligeables, à l’impact positif de quelques variables.
LES VARIABLES CONTEMPORAINES.
A) De quelques défis majeurs :
Le Maroc, célébrant naguère le cinquantenaire de son Indépendance, ets entré à cette occasion, désormais, de plein pied dans l’univers des nations modernes. Mais il doit affronter un certain nombre de défis
1)-défis « internes » tout d’abord :
Au-delà de l’inévitable confrontation des générations au plan du personnel politique et la montée en puissance, sous Mohamed VI, des « Belfikh Boys » et de leurs émules, une montée en puissance qui a rencontré, ici ou là , de fortes résistances du milieu conservateur, les deux plus importants problèmes internes auxquels se heurte le Maroc contemporain nous paraissent être la persistance d’écarts importants de niveau de vie entre les différentes franges de la population, comme en témoignent les chiffres fournis par les statistiques officielles (près d’un Marocain sur six vit encore au dessous du seuil de pauvreté, pourtant fort bas, et un tiers des maires des zones rurales sont encore analphabètes !) et une urbanisation loin d’être maitrisée.
Ce sont les grandes villes qui ont opéré, les premières, leur mutation : Casablanca éradiqnant progressivement ses bidonvilles ; Rabat concrétisant deux spectaculaires programmes d’aménagement le long de son fleuve, le Bou Rebheg, et sur son littoral ; Tanger, longtemps somnolente et à la réputation sulfureuse ; Agadir en plein boom touristique, et dont la « Riviera » n’a pas à rougir de la comparaison avec son éponyme européenne ; Marrakech, surtout.
L’ancienne capitale, en effet, qui se cantonnait naguère dans un rôle de belle endormie, oasis indolente sinon obsolète, joue la carte du tourisme tous azimuts et présente désormais des données économiques particulièrement éloquentes. Elle vit au rythme parfois effréné de l’Occident ; les touristes affluent et l’aéroport a dépassé dès 2006 en taux de fréquentation celui de Casablanca .
Mais cette urbanisation a aussi son revers. Un journaliste européen pouvait écrire, sans trop d’exagération « Les Marocains ne s’y retrouvent plus. Les vieux amoureux de la ville trouent qu’elle y a perdu de sa magie, mais gagné en richesse » Et de citer un témoin privilégié de la mue, un préfet : « Ici, j’ai un problème de main d’œuvre. A Marrakech , i n’y a pas de manifestations de chômeurs, comme ailleurs, parfois, dans le pays ; il me manque au moins 80 000 emplois directs dans le tourisme »..
Ceci étant, les observateurs les plus objectifs soulignent que la question n’est pas de ralentir la cadence, mais de la réguler en contrôlant la croissance de la métropole et en construisant des villes nouvelles au delà de la vielle cité. Tamerzoukt, surgie du désert, avec lac artificiel, hôtels et zones off shore, à une vingtaine de kilomètres de Marrakech, est citée fièrement en exemple.
Ce défi de l’aménagement du territoire est donc fondamentalement lié à l’expansion spectaculaire des activités touristiques, à l’image de l’Espagne des années soixante dix. Dynamisme mais aussi fragilité pour le moyen terme ?
Mais le Maroc doit aussi éradiquer deux fléaux sociétaux majeurs et de nature fort diverse : l’un est récurrent, le trafic de drogue ; l’autre, paradoxalement en apparence, est plus récent : la tentation islamiste fondamentaliste.
Quant à la drogue : le Gouvernement chérifien publie chaque année des rapports tout à fait édifiants ; la culture du cannabis, en moyenne décennale, couvrirait plus de 150 000 hectares, permettant la production annuelle de quelques 3500 tonnes de hachich. Cette production, notamment dans la région du Rif, grande pourvoyeuse de « kif », ferait vivre près d ‘un million de personnes ! Sous le règne d’Hassan II, on avait bien essayé de résoudre le problème en proposant aux paysans des cultures d e substitution, à l’image, partiellement réussie, de l’expérience thaïlandaise, développées sur des périmètres irrigués qui auraient été aménagés en liaison avec l’érection de barrages hydrauliques. Les retards observés quant à la concrétisation de ces projets ont naguère abouti à un constat amer : les paysans, frustrés en outre par l’appropriation privée des pâturages collectifs du système « bour » son retournés en assez grand nombre vers le cannabis, au plus grand profit des trafiquants.
Face à ce fléau, Rabat est d’autant plus démuni qu’il ne peut pas ne pas prendre en compte la froide logique du système : la disparition ( par défoliants) des superficies cultivées conduirait le million de personnes concernées, au moins à court terme, à venir grossir les flux migratoires internes , déjà difficiles à contrôler. Et comme le Maroc ne pourrait, dans l’état actuel des choses, absorber totalement ledit flux, une partie de ces migrants potentiels pourrait être tentés par l’aventure européenne.
Eu égard aux drames engendrés, ces dernières années, par les tentatives d’immigration clandestine des populations venues d’Afrique subsaharienne, on touche ici du doigt l’une des causes majeures de la lenteur avec laquelle les autorités de Bruxelles s‘empressent d’aborder le problème !
2) De quelques défis « externes » :
-La tentation islamiste et ses corollaires
Du fait de son relatif isolement géographique, le Maroc, on l’a vu, est resté longtemps assez éloigné de l’influence des plus radicaux courants d fondamentalisme islamiste.
La situation est sensiblement différente aujourd’hui. L’occidentalisation des moeurs et de la société, conjuguée à l’émergence, évoquée supra, des bidonvilles et du nombre croissant des « disoccupati » des banlieues anarchiques, viviers privilégiés, ici comme ailleurs, dudit fondamentalisme) a contribué à l’essor soutenu de mouvements religieux beaucoup plus radicaux que jadis. L’Islam a certes toujours tenu au Maroc une place privilégiée, mais « la religion y est de plus en plus en vogue ». ( Jean Pierre Roux) Ce fin observateur du Maghreb n’hésitait pas à écrire il y a trois ou quatre ans : « Le royaume chérifien, pays de traditions, est comme une personne âgée qu’il ne faut pas trop chahuter sous peine de la voir réagir brutalement ».
En outre, la montée de l’islamisme radical est conforté par un autre défi externe ; la question du Sahara Occidental.
-La question du Sahara Occidental :
Sur ce plan , les arguments repris régulièrement par les partisans de Rabat à l’ONU semblent indéniablement pertinents, en soulignant le danger potentiel d’une radicalisation politique, mais aussi religieuse, du Front Polisario, parallèlement à la consolidation, semble t il, des liens unissant ce dernier à quelques éléments non négligeables de la grande criminalité organisée, y compris en matière de commerce des armes. Cette question, en outre, entretient une assez vive tension, tant avec Nouakchott qu’avec Alger.
Encore convient il de rappeler qu’au delà du danger potentiel représenté par la percée de l’islamisme radical dans les régions méridionales, le problème du Sahara Occidental a perdu une partie de son intérêt économique et stratégique.
Naguère lieu privilégié des échanges entre le Nord et le Sud, le Sahara Occidental, étiré à quelques 1800 kilomètres des rivages méditerranéens du Maroc et du réveil très spectaculaire de Tanger, tend à être considéré comme « un cul de sac géopolitique », un bout du monde, dépourvu de surplus de très grandes potentialités en matière de ressources.
B) Les « variables positives »
Parmi ces dernières, on doit souligner l’importance des mutations caractérisant l’administration publique et l’essor des différentes branches de l’économie nationale.
-Quant à l’administration publique, maints observateurs ont pu noté une mutation particulièrement sensible, au cours de la dernière décennie, du profil des équipes dirigeantes, clairement concrétisée par le remplacement progressif de la vieille garde conservatrice au profit des « Ingénieurs du Roi », sortis de l’Ecole Polytechnique, des Ponts et Chaussées ou de Centrale., les fameux « Belfikh Boys » (300 postes de la haute administration royale avaient changé de titulaires au cours des six premières années du règne de Mohammed VI)
-Le développement économique :
Le chef de la Mission économique française à Rabat soulignait dès 2008 que « la situation économique du Maroc était, au delà des aléas conjoncturels, celle d’un pays qui a réussi sa stabilisation ». Le Maroc contemporain représente en effet une économie en phase d’ouverture dans de nombreux domaines, tant au plan des investissements directs étrangers (dans le cadre d’une politique de privatisations couronnée de succès) qu’à celui des accords commerciaux bilatéraux. Et un nombre peu négligeable de volets de réformes ont été amorcés, voire poursuivis : réforme du Code du Travail, assurance médicale obligatoire, mise en p lace de politiques sectorielles.
Confronté aujourd’hui à toute une gamme de défis majeurs, le Maroc a manifestement l’intention d’y faire face avec pugnacité » et non sans atouts. La dynamique sociale, parallèlement à la « transition démographique » par exemple, est très sensible, avec la réforme du Code de la Famille, l’essor des programmes-cibles lancés par « l’Initiative Nationale pour le Développement Humain », la promotion des campagnes d’alphabétisation, celles de l’éducation, l’aménagement du territoire, la libéralisation économique et sociale…
Le chantier reste colossal. « Les élites rêvent de transformer Casa ou Marrakech en une nouvelle Californie, et trouvent que les réformes ne vont pas assez vite. Les autres, la grande majorité de la population, attendent encore de bénéficier des retombées des investissements..Leurs espoirs sont énormes et pourtant modestes : un logement décent, un emploi, la scolarisation de leurs enfants… »
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